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A spell on us. Tlamess de Ala Eddine Slim

Updated: Feb 16, 2020


Le dernier film de Ala Eddine Slim confirme, si besoin était, que le réalisateur tunisien est de ceux avec lesquels il faudra désormais compter au niveau international, tant son œuvre ne ressemble à aucune autre. Dès ses premiers courts-métrages Automne (2007) et Le Stade (2010), se sont dessinés les contours et les thèmes qui ont par la suite donné naissance à deux longs métrages, à nuls autres pareils. D’abord l’incroyable The Last of us (2016) qui narrait le parcours de N., un migrant subsaharien qui tentait via Tunis de rejoindre le nord, puis le perdait totalement, à la suite d’un naufrage et d’une chute vertigineuse, pour se retrouver littéralement dans un lieu indéfini, une forêt, hors de toute géographie connue. Le film montrait alors comment N. reconstruisait sa vie au sein d’une nouvelle cosmogonie, bien loin de tout état-nation, de ses logiques marchandes, de son individualisme crasse et des violences symboliques et physiques qui le caractérisent.


Et voici que vient d’être projeté au Festival de Cannes de cette année, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, le deuxième opus de Ala Eddine Slim, Tlamess, titre mystérieux qui suscite déjà la rêverie d’un spectateur hésitant entre plusieurs définitions du terme arabe, depuis les reliques au talisman. Une chose est sûre, la magie qui opère à chaque film de Ala Eddine Slim, ne sera pas bien loin. La liberté est à nouveau au cœur du film. Liberté, chèrement acquise par S., jeune soldat en poste dans le sud tunisien qui à la suite de circonstances personnelles va déserter, une armée qui l’étouffe. Il ne comprend plus bien - comme tous ses camarades d’ailleurs - les objectifs de sa hiérarchie dans cette lutte anti-terroriste qui l’obsède. Et encore une fois, comme dans The Last of Us, cette échappée, cette pulsion de vie, voire de survie, va mener le personnage à nouveau au loin, hors du monde connu, au cœur de la forêt, qui n’a ni nom ni lieu identifié et qui non loin de la mer, offre refuge dans une sorte de bunker souterrain. Le ventre de la terre.


Et comme dans The Last of us, où N était guidé par un homme qui l’avait précédé dans cette nouvelle vie, l’amour qui est au fondement de toute humanité intervient à nouveau, avec la rencontre foudroyante ente S. et F., une femme délaissée par son mari et qui se perd un jour dans la forêt. Jouée par Souhir Ben Amara dont la présence à l’écran est quasi hypnotique, F. apporte ce qui manquait peut-être - songe-t-on a posteriori - à The Last of us. S’ajoute à ce face à face muet (ou presque, mais ne gâchons pas toutes les trouvailles fascinantes du film), l’imminence d’une naissance, puisque F. est enceinte de ce mari absorbé par son travail et campé par l’acteur algérien Khaled Benaïssa, excellent (comme toujours) en homme pressé. L’occasion de signaler ici que les entraves aux collaborations cinématographiques entre l’Algérie et la Tunisie mais aussi le Maroc devraient vite cesser et on n’ose imaginer ce qu’un cinéma libéré de tout protectionnisme frileux pourrait offrir comme œuvres majeures. Vœux pieux diront certains, mais quand on aime le cinéma, on ne peut s’empêcher de rêver.



S. et F. vont donc tenter de rester ensemble au cœur de la forêt, le temps que naisse l’enfant. Leurs parcours qu’ils semblent un moment subir, puis enfin choisir, est un parcours d’efforts, de combats, d’acharnements à rester du côté de la vie et d’une communicabilité au-delà des mots, dans une société de consommation mortifère (tout ce que faisait F. dans sa vie d’avant, c’est acheter des meubles pour sa grande et belle villa). Dans une société qui on le sait cultive l’illusion de l’hyper communication via les réseaux sociaux et autres applications en tout genre, alors même que les individus se sentent de plus en plus isolés. Le danger menace constamment les personnages qui risquent de perdre cet état de grâce et tous les talismans du monde n’y feront malheureusement rien. Eloge de l’Amour, ce film est aussi un appel à des rapports renouvelés entre hommes et femmes, dans le sens d’une égalité toute poétique, avec une scène d’allaitement qui est de loin l’une des plus belles scènes de cinéma qui ait été donnée à voir à l’écran depuis longtemps.


On a beaucoup comparé le début du film au Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick, et l’hommage de Ala Eddine Slim au maître ne fait probablement aucun doute. Il y a aussi dans son obstination à filmer la vie et la nature sur un mode à la fois contemplatif, poétique et politique une parenté certaine avec le cinéma du grand Terrence Malick. Mais Ala Eddine Slim n’a pas besoin en réalité de ces comparaisons dont raffolent les critiques. Il possède son univers propre et c’est avant tout un excellent metteur en scène et un monteur de talent. Sûr de ses choix, il impose en douceur au spectateur ses parti-pris de lenteur, de scènes contemplatives et de séquences qui s’étirent dans la durée. Aidé par son excellent chef opérateur Amine Messadi avec lequel il travaille depuis 2010, il nous fait passer du film militaire au thriller puis à la fable avec une maîtrise rare. Il nous offre aussi un plan-séquence d’une rare beauté, dans lequel il filme Tunis et l’une de ses moquées comme jamais personne avant lui, et avec juste ce qu’il faut d’irrévérence et de fantaisie sonore, pour permettre au spectateur de comprendre que c’est bien cela le cinéma, des histoires, des images et des sons qui vous surprennent, bousculent vos habitudes et vous habitent longtemps.



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