Alger Tunis même combat
Depuis le début du soulèvement algérien en février dernier, il se dit ici et là à Tunis, que Béji Caïd Essebsi, 92 ans (no comment), aurait définitivement renoncé à se présenter aux prochaines élections présidentielles, de peur de provoquer l’ire des Tunisiens. Décision bien avisée pour cet homme de l’ancien régime qui a raison de se faire discret après avoir confisqué à toute une jeunesse sa révolution. Et qu’on ne vienne pas me faire l’éloge du régime Bourguiba face à celui de Ben Ali. Comparaison n’est point raison.
Si Alger effraie donc le Palais de Carthage, elle redonne des ailes aux révolutionnaires tunisiens qui vibrent avec leur frères et sœurs algériens.
Il y a d’abord les ami(e)s et militant(e)s de longue date qui sont de tous les rassemblements en faveur de l’Algérie, notamment celui du 2 et du 9 mars 2019. Le premier qui n’avait pas obtenu d’autorisation officielle de manifester a été violemment dispersé par la police. Le second, plus festif, a rassemblé plus d’une centaine de personnes. Les deux évènements ont été organisés par la précieuse et infatigable Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) et par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES). Les Algériens ont également apprécié à sa juste valeur le voyage à Alger d’un groupe de militant(e)s, en soutien à la manifestation du 30 mars dernier.
Il y a ensuite une jeunesse, militante, active, fille de la révolution tunisienne de 2011 qui est très attentive à ce qui se passe à Alger. On la retrouve dans différentes ONG notamment El Bawsala[1]qui a pour vocation de surveiller les travaux de l’Assemblée Nationale tunisienne et de replacer de ce fait le citoyen au cœur de l’action politique, en l’informant sur l’activité des élus. Les jeunes algériens pourraient s’en inspirer pour la transition démocratique à venir. Car si l’on en croit le piètre et risible spectacle qu’un régime algérien moribond nous offre depuis quelques jours, nous allons bientôt obtenir gain de cause.
Il est en effet inutile de s’agiter et de perdre son énergie en commentant la composition du gouvernement annoncé le 31 mars ou les annonces de démission de Bouteflika. L’histoire est en marche et elle est dans la rue. Comme le dit justement le rappeur et activiste algérien Diaz : « tarikh rahou fe zen9a ! » Mieux vaut donc déjà songer à la suite et à ce que nous mettrons en place pendant la transition. Et de ce point de vue, Tunis a quelques belles idées à offrir.
Qu’on songe par exemple à L'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (l’ISIE) qui a été créée après la fuite de Ben Ali pour assurer l’élection dans la transparence de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011. L'assemblée a par la suite décidé de pérenniser l'institution et d’organiser son renouvellement. Je dois à l’ISIE mon premier vote démocratique en tant que citoyenne tunisienne et je rêve d’une instance semblable qui me permettra de voter dans mon Algérie natale.
Qu’on songe aux travaux-mêmes de la Constituante, qui furent selon des acteurs de la société civile, l’un des plus beaux moments de leur combat politique. Il faut entendre les récits passionnés des luttes qui ont arraché l’article 6 garantissant la liberté de croyance et de conscience et de l’exercice des cultes[2], ainsi que l’article 33 qui assure les libertés académiques et la liberté de la recherche scientifique[3]. On se souviendra aussi de la manière dont on a évité le pire en inscrivant noir sur blanc l’égalité des citoyens et des citoyennes alors que certains voulaient que la femme soit seulement considérée comme complémentaire de l’homme. Quelle idée saugrenue. Le code de l’infamie de 1984 n’a qu’à bien se tenir.
Qu’on songe enfin à la Commission Vérité et Dignité chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises en Tunisie depuis 1955. Le but étant d’offrir aux victimes non seulement des compensations à la hauteur des dommages subis mais surtout une réhabilitation en libérant leur parole. Bien que critiquée, cette commission a fourni un travail remarquable et a permis à des victimes de tortures de s’exprimer publiquement. Je crois pouvoir dire que lors de la diffusion en direct des témoignages, je n’ai jamais été aussi bouleversée. La commission vient de remettre son rapport et le président sortant Béji Caïd Essebsi est nommément cité pour violation des droits de l’homme, lors de la répression en 1963 d’une tentative de coup d’état militaire, contre le Président Bourguiba. Caïd Essebsi était à l’époque chef de la sûreté. Prenons donc bien note : la vérité prend parfois des détours mais elle finit toujours par triompher.

[1] https://www.albawsala.com/presentation [2] Article 6: L’État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance et à protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage également à prohiber et empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler. [3] Article 33: Les libertés académiques et la liberté de la recherche scientifique sont garanties. L’État assure les ressources nécessaires au progrès de la recherche scientifique et technologique.