El Ghorba Ghaddara. My English Cousin, réalisé par Karim Sayad
Le 13 septembre 2019
On avait déjà deviné un véritable talent de documentariste dans le très émouvant Babor Casanova (2015) qui suivait de fervents supporters du Mouloudia d’Alger et le Festival International du Film de Toronto ne s’y est pas trompé, en sélectionnant pour la deuxième fois consécutive un long métrage du réalisateur Algéro-Suisse Karim Sayad, dans la catégorie documentaires. Après Des Moutons et des Hommes (2017), c’est en effet My English Cousin (2019) qui a été projeté en première mondiale, il y a quelques jours en Ontario. Et le film tient toutes ses promesses. Karim Sayad a gagné tant en aisance qu’en liberté de ton. Il s’offre le plaisir de filmer patiemment les espaces et les gens et passe du ciel gris du nord de l’Angleterre à l’urbanisation anarchique de Sour El Ghozlane, avec maîtrise et talent.
Ses deux premiers films avaient permis au réalisateur de faire des rencontres incroyables et nous avaient offerts des personnages inoubliables, notamment Adlan en supporter fauché mais infatigable dans Babor Casanova et Habib en adorable looser, incapable d’élever un mouton suffisamment agressif pour combattre dans Des Moutons et des hommes. Cette fois-ci, comme l’indique le titre de documentaire, c’est un membre de sa famille qui a été la source d’inspiration de Karim Sayad. Filmer un proche n’est jamais chose aisée, mais lorsqu’il s’agit d’un cousin germain, auquel on est qui plus est très attaché, la tâche devient encore plus difficile.
La complicité entre Karim et Fahed est palpable à l’écran. Une bien belle séquence volée par le cameraman, les montre prenant ensemble un selfie en bord de mer, comme deux gamins qui n’auraient jamais vraiment grandi. Et pourtant, les voilà bel et bien adultes. Et c’est avec beaucoup de courage et de tendresse que Karim a suivi Fahed dans sa vie anglaise, dans la ville de Grimsby dont beaucoup de spectateurs entendra parler pour la première fois. Lieu improbable entre tous où s’est installé Fahed, après avoir émigré clandestinement en Angleterre. Si l’exil est une décision, elle est rarement faite de choix. Celui qui émigre ne fait pas le difficile. Il va où le portent ses pas, il va là où se trouve le travail, là où se dessine une opportunité. Peu importe le climat. Peu importe la contrée. Peu importe l’isolement. Peu importe si personne n’est capable de placer votre ville d’adoption sur une carte.

A la manière d’une comédie anglaise, le film est rythmé par des sous-titres de couleur orange (celui de Transpotting) sur fond noir. Il montre Fahed sans cesse au travail, ces journées sont autant de hard day’s night comme le chantaient jadis les Beatles, dans une autre cité ouvrière. Mais malheureusement, après 12 ans de mariage, Fahed ne parvient plus à trouver le réconfort auquel il aspire auprès de son épouse anglaise. Il se sépare non sans tristesse de sa femme et s’installe dans un appartement qu’il partage avec des colocataires anglais. Le voilà donc à la recherche d’un nouveau départ, d’une seconde vie qui va le (ra)mener en Algérie où il espère se réinstaller et pourquoi pas trouver une épouse, sous le regard dubitatif, parfois inquiet et même moqueur de sa famille.
Mais on est loin de Quatre mariages et un enterrement et de son happy-end, on est loin de The Full Monty et des chorégraphies loufoques d’ouvriers prêts à tout pour gagner quelques sous. On est dans la vraie vie. Celle que chante Sid Vicious dans la version punk de « My way ». La vie d’un homme qui essaye de trouver malgré l’adversité, contentement et joies simples. La vie de Fahed mais celle aussi de ses colocataires et amis anglais qui luttent quotidiennement pour garder un travail et survivre. Celle de la famille restée au pays et qui ne comprend pas toujours très bien ce qui passe par la tête de Fahed. Se comprend-t-il d’ailleurs lui-même ?
Dans un film très poignant, Karim Sayad réussit à transmettre à l’image les affres de l’exil, la difficulté de s’enraciner à nouveau, l’impossibilité du retour, les malentendus et les quiproquos entre ceux qui restent et ceux qui partent. C’est aussi avec beaucoup d’humour – car si les Anglais en ont, on sait que les Algériens n’en manquent pas - qu’il rend hommage à un parcours incroyable qui force l’admiration et qui rappellera à qui veut l’entendre qu’on ne quitte jamais sa terre de gaîté de cœur, qu’on fait de son mieux, qu’on travaille sans relâche, en espérant sans cesse des jours meilleurs. Peut-être ceux que nous réserve l’Algérie de demain.