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Malika dans la lumière. 143 rue du désert, réalisé par Hassen Ferhani

Updated: Mar 12, 2020

Août 2019 ( mis à jour février 2020)


Après le succès de Fi Rassi rond point (2015), nous attendions avec impatience le deuxième long métrage de Hassen Ferhani et c’est le prestigieux et exigeant Festival du Film de Locarno qui a eu la clairvoyance de sélectionner et de projeter 143 rue du désert (100'), en première mondiale, le samedi 10 août 2019, dans le cadre de son « Concorso cineasti del presente”. Hassen Ferhani y a reçu le premier d’une longue série de prix, en obtenant le titre de meilleur réalisateur émergent et le prix du jury junior. D’autres récompenses suivront sans discontinuer: Grand prix du DMZ international documentary de Séoul, silver star documentaire du festival d'El Gouna, Grand Prix du Jury au Festival International du Cinéma d’Alger, trois prix au festival des trois continents de Nantes, etc.


Que faire après un documentaire aussi réussi et émouvant que Fi rassi rond point ? Où se ressourcer ? Comment trouver l’inspiration ? Hassen Ferhani a beaucoup voyagé, répondant à des invitations en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Europe et aux Etats-Unis. Il a par ailleurs travaillé sur plusieurs films, toujours heureux de collaborer avec d’autres cinéastes. Il a aussi sillonné l’Algérie. Sans cesse à l’écoute. Toujours à la recherche d’une inspiration. Réceptif aux conseils de ses amis, aux idées qui fusent puis s’éteignent d’elles-mêmes comme des étoiles filantes. Et c’est en chemin qu’il a trouvé Malika. Sur la route d’un projet que lui et son ami Chawki Amari ont dû pour finir abandonner. En rencontrant Malika, Hassen Ferhani a une certitude immédiate. Comme une fulgurance. Malika que Chawki Amari évoque déjà dans son roman Nationale 1, doit être filmée. Elle doit être vue, entendue et connue.


A plus de soixante ans, Malika tient un café près d’El Ménia, sur la route qui relie Alger à Aïn Guezzam. Elle y accueille ses clients avec bonne humeur, parfois avec réserve, voire un brin d’agacement quand leurs questions se font trop pressantes. Car la vie que Malika s’est choisie, seule, loin de sa famille ne cesse de surprendre. Comme surprennent souvent les parcours des esprits libres qui décident de composer leur propre récit et d’écrire leur propre histoire et auxquels Hassen Ferhani rend ici un bel et tendre hommage.


Une vie simple. Au milieu du désert. Une bâtisse de fortune. Une table et quelques chaises. Malika, maîtresse en son royaume. Les courses à faire. La menace qui plane d’un restaurant et d’une station essence, à quelques centaines de mètres de là, qui vont concurrencer son café. De longues heures d’attente et de silence. Des accidents de la route. Des moments d’angoisse et de solitude. Des clients de passage. Des habitués qui viennent, on le devine, davantage pour prendre de ses nouvelles que pour la qualité du thé et de la nourriture. Des pas de danse et quelques fous rires. Une vie de sainte, espère-t-elle peut-être secrètement, elle qui vit non loin d’une zawiya et qui échange quelques mots avec les pèlerins venus faire une halte chez elle.


Et Hassen Ferhani est là avec sa caméra, accompagné seulement de Mohamed Ilyas Guetal au son. Attentif aux paroles et aux mouvements. Plaçant sa caméra comme personne d’autre que lui ne sait le faire. Nous offrant des interactions d’une authenticité rare. Des tranches de vie. Celle de Malika bien sûr mais aussi un aperçu de celle de ses clients : routiers, migrants subsahariens ou touristes européens. Comme un road-movie inversé. Grâce au minutieux travail de montage effectué par Stéphanie Sicard, Nadia Ben Rachid, Nina Khada et Hassen Ferhani lui-même, c’est la route qui vient à nous et nous permet d’entrevoir toutes ces existences, l’espace de quelques phrases échangées.


Si Fi rassi rond point était un documentaire de la nuit des abattoirs algérois, 143 rue du désert est un film de la lumière écrasante du désert, nouveau chapitre d’une œuvre qui ne cesse de montrer l’étendue de la maîtrise cinématographique de Hassen Ferhani. La bande sonore ne tombe pas dans le piège du silence contemplatif du Sahara et offre des intermèdes musicaux qui raviront les plus exigeants des mélomanes. C’est là toute la force du cinéma de Hassen Ferhani, une maîtrise de l’image et du son, une véritable attention aux autres et à la beauté du monde qui nous entoure. Mais aussi une quête qu’il poursuit de film en film. Celle de tout documentariste à la recherche de vérité.


Vérité des personnages qu’il rencontre et filme. Vérité qui lui échappe sans cesse car comme le disait si justement 3amou dans Fi rassi rond point : « el kdheb ma nekedbouch we essah ma ntihouch fih[1]. » Joueur, Hassen Ferhani brouille encore davantage les pistes dans 143 rue du désert, en insérant des séquences entre réalité et fiction avec la complicité de Malika elle-même et des excellents acteurs Chawki Amari et Samir El Hakim qui était déjà présent dans Don Quichotte, Tarzan et nous, réalisé en 2013 par Hassen Ferhani.


Vérité fuyante mais à n’en point douter à portée politique et critique. Vérité de celles et ceux dont on a trop longtemps étouffé la voix et ignoré les existences. Une vérité qui émane de la beauté, sans pour autant taire les défauts de Malika, héroïne bien humaine dans un monde qui l’est moins. Vérité spirituelle enfin, qui donne à voir, film après film, la lumière fragile et précieuse, que comme Malika, nous portons toutes et tous en nous.



  1. “On ne ment jamais mais on ne tombe jamais dans le vrai non plus ».

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