Palestine : l’humain en étendard.
Par Meryem Belkaïd
Exiger aujourd’hui que les Gazaoui.es et les que les Palestinien.es soient protégé.es, que cesse le carnage, relève de l’humain.
Celles et ceux qui s’y sont refusés jusque-là ont perdu honneur et raison.
Ceux et celles qui ont attendu qu’on bombarde un hôpital pour s’émouvoir ont les yeux grands fermés depuis 1948.
Et les défenseurs.ses de la cause palestinienne doivent continuer à avoir la force et la droiture de dire que les violences perpétrées sur des civils ne peuvent susciter que tristesse et accablement.
Les défenseurs.ses de la cause palestinienne n’ont pas à se soumettre aux sommations d’où qu’elles viennent quand leur cause est celle de l’humain.
Eux qui ont les yeux grands ouverts depuis des années sont en droit de rappeler que le Hamas n’est pas né ex-nihilo, sans qu’on les accuse d’apologie du terrorisme ou de je ne sais quel autre crime pour les réduire au silence.
Le Hamas est né du colonialisme et des autoritarismes. Il n’est pas besoin d’un diplôme supérieur en Histoire pour comprendre que c’est la situation coloniale, la violence quotidienne physique et symbolique, les humiliations constantes, la privation des droits humains les plus élémentaires que subissent les Palestinien.es depuis plus de soixante-quinze ans qui ont favorisé l’essor du Hamas. Si l’on se donne la peine de réfléchir et de s’informer on apprendra que c’est l’État d’Israël qui a instrumentalisé le mouvement islamiste dès la fin des années 1980, avec pour but clair d’affaiblir le Fatah. Si l’on est féru de géopolitique, on admettra aisément que c’est le régime dictatorial d’Iran qui finance le Hamas et le soutient. Et il est clair que ce sont les lâchetés de régimes arabes autoritaires, leurs intérêts égoïstes qui ont totalement abandonné la cause palestinienne.
Il faut trouver la force de dire cela, de refuser les réductions simplistes, les falsifications chronologiques et la surenchère émotionnelle. Non pas pour enterrer la cause palestinienne mais pour en réaffirmer et en rappeler la justesse.
La cause palestinienne ne se pense pas en termes de victoire ou d’échec. Laissons le vocabulaire belliqueux aux impérialistes et à leurs suppôts.
La cause palestinienne n’appartient à aucune idéologie, elle ne saurait se laisser accaparer par aucun mouvement.
Elle est la cause de l’humain. De la terre où l’on naît. Du ciel que l’on admire.
Elle est juste car elle repose sur une éthique aux antipodes de la pensée impérialiste.
Elle ne prétend pas que les Palestiniens possèdent la terre de Palestine mais qu’ils y ont leurs racines, leurs contes et leurs poèmes. Que des générations entières y ont choyé l’olivier, préservé l’eau, travaillé la terre et en ont chéri les bienfaits. Tissé des liens que symbolise admirablement le keffieh.
L’attachement n’est pas possession.
En ce bas monde nous ne possédons rien qu’une tempête, qu’une maladie, une sécheresse ou une famine ne nous enlèvent en un instant.

C’est l’organisation occidentale du monde qui pense tout en termes de possession et d’exploitation. En divisant le monde en parcelles colonisées puis en États-nations, ce système a imposé un rapport prédateur à la terre, y a dessiné frontières artificielles et à la suite des indépendances a transmué les hiérarchies coloniales en hiérarchies nationales. C’est à ce système que l’on doit des populations entières déplacées, des partitions suicidaires, des ethnies nettoyées, des langues et des cultures annihilées, des racismes désormais décomplexés. En prenant pour argent comptant ce leg colonial, les nouveaux États-nations n’ont fait qu’en reproduire les mécanismes de prédation, de nationalisme ombrageux et d’exploitation par les plus forts au détriment des plus démunis.
Il est grand temps que nous cessions de nous penser en termes d’États-nations. Nous nous devons face au carnage qui se déroule à Gaza, face à un monde qui permet qu’un tel massacre ait lieu sous nos yeux impuissants, face à des lois internationales dont on sait depuis la fin de la Seconde guerre mondiale qu’elles ne s’appliquent jamais aux plus forts, nous nous devons de prendre le risque de penser au-delà des nationalités et des drapeaux. La solution des deux états a été depuis longtemps enterré et un seul état colonial tels que le pensent et le rêvent Netanyahou et ses alliés politiques n’est viable ni pour les Palestinien.es ni pour les Israélien.es. Des voix israéliennes le disent courageusement[1].
Si celles et ceux qui croient avoir un droit divin à posséder la terre de Palestine dans son intégralité ont la folie des grandeurs, soyons plus fous encore en nous réclamant d’une infinie humilité face à la terre sans laquelle ne nous sommes rien. Ne soyons plus des damnés de la terre mais des amoureux de celle-ci.
Faisons de la Palestine, l’étendard de l’humain. Tentons de construire une pensée nouvelle, combative qui va de l’avant. Une pensée qui promeut des valeurs de sobriété et de persévérance. Une pensée qui redéfinit les solidarités. Tentons ensemble un véritable retournement épistémologique, une nouvelle vision du monde.
Par nous, on aura compris que j’en appelle à toutes les « nationalités ». Par nous, je n’entends pas ceux et celles qui appellent seulement à la paix, position commode qui dispense de l’engagement courageux. Je pense à ceux et celles qui ont à cœur la seule paix qui vaille, celle qui naît de la justice et de l’égalité. L’égalité dans la vie, l’égalité dans la mort, l’égalité dans la joie et dans le deuil.
J’ignore encore quelle pensée nouvelle nous pouvons créer mais nous avons tout à apprendre de cette terre si on la regarde, débarassé.es des ornières de l’impérialisme triomphant et des nationalismes suicidaires. Regarder la Palestine en face, ce n’est pas regarder ni le Hamas, ni le Fatah, ni le monde arabe ni la Oumma. C’est voir tout un peuple faire l’expérience de la limite et continuer malgré tout à promouvoir la vie et l’amour face au dénuement extrême, c’est apprendre la persévérance el soumoud face à l’injustice. C’est faire preuve de solidarité qui n’a que faire de nationalité, d’idéologie ou de religion.
Cette pensée nouvelle, nous la devons aux habitants de Palestine. Nous la devons à ce qui nous reste d’humanité.
[1] Lire notamment Arielle Angel « We Cannot Cross Until We Carry Each Other », JewishCurrents, 12 octobre 2023, https://jewishcurrents.org/we-cannot-cross-until-we-carry-each-other?fbclid=IwAR2MG3R-HCnHJp0vzxuNYInXy7Rb93-ZukzC9AkbEa_z8WGGCcFaQXHGkzs